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Naomi Scherer et l'art du réemploi dans la rénovation

Aujourd'hui, nous vous proposons un nouvel article avec une personne engagée, dynamique, qui plutôt que de se demander si c'est possible, se demande comment faire ! Rencontre avec Naomi Scherer, passionnée et spécialisée dans le secteur du réemploi des matériaux de construction, ou comment rénover sa maison en réemploi à (presque) 100%.



Echo des Possibles : Bonjour Naomi. Pour commencer, pourrais-tu te présenter et nous expliquer ton parcours s’il te plaît ?


Naomi : Je m’appelle Naomi Scherer, je suis italienne et j’habite en France depuis 2009. J’ai fait des études dans le domaine du design industriel, du design produit et de la communication. Après mon Erasmus à Paris, j’ai décidé de rester en France. J’ai toujours travaillé dans le monde de l’événementiel, j’étais passionnée par l’organisation d’événements, et j’ai intégré le salon Batimat en tant que commerciale en 2015 toujours dans l’événementiel. C’est là que j’ai découvert le monde du bâtiment. En 2020, je suis devenue directrice du secteur de l’aménagement intérieur et extérieur et c’est à ce moment que j’ai découvert que des marques du secteur proposaient des démarches écologiques, cradle-to-cradle en économie circulaire et en recyclage. J’ai trouvé ça fascinant. En parallèle, d’un point de vue personnel, ma conscience écologique s’est développée. Avec l’arrivée de mes enfants, je me suis mise à cuisiner pour eux, à faire attention aux produits que j’achetais, à utiliser des couches lavables, des vêtements 2ème main … On est rentrés dans une démarche zéro déchet à la maison, conjointement à mon évolution professionnelle.


Au fur et à mesure, j’ai découvert toutes ces marques impliquées dans l’économie circulaire et le recyclage. Je faisais de plus en plus de social selling en essayant de mettre en avant ces entreprises et ces démarches. Le social selling est le fait de vendre à travers les réseaux sociaux, en mettant du contenu en lien avec la marque de manière à attirer les gens vers ce contenu authentique et les marques associées.

A ce moment, je me suis demandée si les architectes connaissaient toutes ces solutions de recyclage et de réemploi et j’ai réalisé que souvent ce n’était pas le cas. J’ai même envisagé de créer une agence de conseil environnemental pour créer ce lien. Je ne l’ai pas fait mais c’est à ce moment-là, en 2021, que je me suis mise à vraiment creuser ce secteur.


J’ai découvert qu’il existait des MOOCs (Massive Online Open Courses, cours en ligne ouverts à tous) sur la thématique du réemploi des matériaux. Comme j’étais curieuse et que je voulais vraiment rentrer dans ce domaine, j’ai participé à deux MOOCs : un organisé par l’ADEME et un organisé par Les Canaux, organisme basé à Paris qui soutient les acteurs à impact et ça m’a ouvert un monde. J’ai découvert une niche en plein boom.


Nous étions en train de changer de vie, quitter la grande ville pour une maison à la campagne, je voulais que me valeurs professionnelles soient en cohérence avec mes valeurs personnelles, avec la possibilité de travailler en télétravail. Je me suis dit : « c’est là que je veux travailler, c’est ce que je veux faire ».

Echo des Possibles : Pourrais-tu nous parler plus en détail de ton projet de déménagement et de rénovation, projet qui est maintenant terminé ?


Naomi : Le projet est né car nous voulions quitter Paris et notre petit appartement pour 4 personnes, et aussi nous rapprocher des grands-parents. On voulait aussi être plus cohérents avec nos valeurs et nos envies sur la façon d’élever nos enfants. C’est en cherchant notre nouvelle maison que je suis tombée sur un blog, https://www.madamebourdonne.com, avec plein d’astuces écologiques pour faire sa lessive, faire sa propre déco de manière écologique, etc. J’ai vu sur ce blog un article sur une peinture écologique appelée Circouleur, faite à partir de déchets de peinture. A ce moment précis, on était dans la voiture, j’ai dit à mon mari : « Quand on aura trouvé notre maison, je veux qu’on la repeigne avec cette peinture ! ». C’est de là que tout est parti.


Peu après on a trouvé la maison. Pendant la phase de signature du compromis en 2020, j’ai entendu une émission sur Bâti Radio avec l’architecte d’intérieur, Julie Teulé, spécialisée dans le réemploi de matériaux du bâtiment, basée à Lyon. Je l’ai contactée à la suite de cette émission en lui expliquant mon envie et mon projet.


Mon cahier des charges était : faire un maximum de réemploi dans la maison ! Je ne me rendais pas compte de tout ce qui était faisable. C’est en creusant au fur et à mesure que j’ai compris qu’il existait plein de solutions possibles pour intégrer des matériaux issus de l’économie circulaire. L’accompagnement de Julie, une vraie professionnelle, nous a beaucoup aidés dans la phase de sourcing des matériaux, que je faisais sur mon temps libre. J’ai découvert les plateformes de revente des matériaux et j’ai vu que je pouvais faire bien plus que ce que j’avais en tête au départ.


La salle de bain Après / Avant

Une des premières pistes était dans le domaine de la robinetterie. Je travaillais encore chez Batimat et j’ai appelé un de mes clients pour lui demander s’il vendait les produits d’exposition ou de fin de collections, avec des défauts et destinés à la benne. Il ne le faisait pas mais il s'est dit : « Oui, pourquoi pas, c’est possible ». Ce fut un vrai élément déclencheur de réaliser que ce type de demandes pouvait aboutir. Un autre élément fut pendant le salon Artibat à Rennes sur lequel j’ai découvert Articonnex. C’est une entreprise qui récupère et vend des matériaux neufs issus de fins de chantiers ou fins de collections, qui seraient normalement dédiés à la benne. Ainsi, via cette entreprise, j’ai pu récupérer ma baignoire, issue d'une erreur de commande d’un chantier d’une grande chaîne d’hôtels. Ils avaient commandé 10 baignoires mais au cours du chantier, ils ont décidé d’installer plutôt des douches. Les baignoires allaient donc être jetées, mais heureusement Articonnex a pu les récupérer et les remettre dans un circuit de vente.


De la même façon, j’ai récupéré du parquet contrecollé d’une grande marque allemande. Il s’agissait d’une fin de série, qui représentait une trop petite quantité pour être rendue aux négoces mais dont le volume était parfait pour un particulier.

On a récupéré aussi du bois de terrasse, également issu d’un chantier d’un foyer étudiant à Nantes, qui n’a jamais servi, qui a été finalement démonté et dont Articonnex a récupéré les matériaux.

EDP : Du coup, toutes les pièces de ta maison racontent plein d’histoires, toutes uniques.


Naomi : Oui, et même au-delà car ce n’est pas seulement le mobilier qui est chiné, ce qui est « facile » ou en tout cas plus accessible et connu. Moi, je voulais aller aussi loin que possible dans le réemploi et chiner des matériaux, aussi écologiques que possibles. Mon objectif, c’était : « faire du beau et du qualitatif, avec des matériaux qui existent déjà, sans devoir faire de l’extraction de matière première supplémentaire et éviter l'incinération ».


Ça n’a pas été simple de suivre cette ligne de conduite pour tous. Certes, il existe de plus en plus de plateformes qui peuvent aider, mais il n’y a jamais exactement la pièce que tu cherches donc il faut faire preuve de beaucoup d’adaptation et d’imagination.

Par exemple, parmi le plus difficile, il y a eu le carrelage. J’avais beaucoup d’exigences de qualité et d’esthétique pour le carrelage et ça m’a pris beaucoup de temps et de recherches pour trouver le bon carrelage avec les bonnes quantités !


Le bureau Après / Avant

EDP : De manière très pragmatique, est-ce que le chantier a été plus long et/ou plus cher qu’un chantier plus classique uniquement à partir de matériaux neufs ? Le temps et l’argent sont deux points importants quand on rénove une maison !


Naomi : J’ai suivi un très bon conseil de l’architecte pour ne pas perdre trop de temps justement. Elle m’a conseillé de me fixer des dates pour chaque matériau. J’avais donc des deadlines pour chaque recherche, au-delà desquelles je m’étais dit que j’optais pour du neuf.


Cela a été un premier point pour ne pas perdre trop de temps. Mais finalement, à l’époque où nous avons rénové la maison, les pénuries de matériaux neufs étaient très très importantes et cela pouvait aussi beaucoup retarder le chantier. Finalement, le réemploi inverse un peu la logique temporelle, puisqu’il faut prendre du temps pour chercher les matériaux, c’est plus long que dans un catalogue standard, mais une fois trouvé, on peut tout de suite récupérer le produit. Pas besoin d’attendre la fabrication, puis la livraison pour lesquelles les délais peuvent être très importants aujourd’hui.

D’un point de vue économique, notre chantier nous a couté 160 k€, et la maison 400 k€. On s’est rendus compte que le fait de passer par du réemploi nous a fait économiser environ 30k€, ce qui nous a permis d’investir cet argent sur l’isolation en ouate de cellulose et compléter d’autres lots techniques du chantier.

EDP : Quel est le gain environnemental de ton projet ? Tu as pu le mesurer, en termes de déchets et d’empreinte carbone ?


Naomi : Au printemps 2021, J'ai décidé de participé au concours “Trophées Bâtiments Circulaires” organisé par « Les booster du réemploi » qui m’a fourni un tableau permettant de calculer les économies d’eau et de CO2 réalisées grâce au chantier.


Nous avons effectivement évité 10173 kg de déchet et 6364 kg démissions en équivalent CO2 mais aussi limiter l’utilisation de 924 m3 d’eau liée à la production de ces matériaux. C’est l’équivalent de 20 années de déchets ménagers d’un français. En comparaison, notre chantier a permis de limiter les émissions de CO2 équivalant à 58 allers-retours entre Paris et Nice.


Nous avons par exemple réutilisé les radiateurs déjà présents dans la maison, ce qui a évité une dépense énergétique très conséquente pour les recycler ou les détruire. On a pu recycler certaines fenêtres en bois, dont nous avons fait une serre dans le jardin, ainsi que le portail en bois qui sert maintenant de porte coulissante pour la penderie.

La dernière récupération en date, ce sont les rails de placo, laissés comme des déchets de fin de chantier par le plaquiste. Mon beau-père les a récupérés pour faire une penderie dans l’entrée et des étagères dans le placard. Nous avons aussi réutilisé les rebuts de carrelage pour en faire des rebords de fenêtres, après tout un jeu d’assemblage parmi le reste.


EDP : Tu peux nous parler des concours auxquels tu as participé pour faire connaître ton projet ?


Naomi : J’ai voulu participer au concours “Trophées Bâtiments Circulaires” (organisé par « Les booster du réemploi ») pour montrer qu’un particulier pouvait aussi faire une rénovation à faible impact environnemental. Sur ce concours je n’ai pas gagné. Mais je n’ai pas voulu renoncer à faire passer mon message. J’ai donc décidé de participer au concours national “Green Solutions Awards” organisé par le média Construction21. J’étais, encore une fois, le seul particulier parmi 219 candidats. Cette fois les choses ont été différentes. J’ai eu non pas 1 prix, mais deux ! Le premier à été le prix du public, j’ai pas mobilisé mal mon réseaux et tout le monde a adoré ma démarche et a décidé de m’aider en votant. Mais la grande surprise a été la mention "Coup de cœur" du jury étudiant que j’ai reçu, une vraie reconnaissance professionnelle et personnelle ! Les architectes de demain ont voulu récompenser mon projet car il a été fait avec le cœur et pour la planète, c’est un projet qui est "massifiable" sur les 20 millions de maisons individuelles existantes en France et ça peut enclencher un vrai impact à grande échelle !

Le salon Après / Avant

EDP : Quelles sont les difficultés ou les freins que tu as pu rencontrer dans ton projet ? Plus largement, quels sont les freins pour les particuliers, qui font que c’est quand même très peu courant de mener un projet comme le tien ?


Naomi : La vraie difficulté, c’est de pouvoir s’adapter à ce que tu trouves. La plupart du temps, tu trouves des produits très moches, plus du tout au goût du jour. Or, je voulais faire du réemploi mais que mon intérieur soit beau ! Il faut donc beaucoup d’adaptabilité et d’ouvertures à d’autres possibilités par rapport à ce que tu trouves. Il faut être prêt à modifier les plans initiaux.


L’autre élément bloquant, c’est le stockage car tu trouves parfois les matériaux ou les produits bien avant d’en avoir besoin ! Nous avions la chance d’avoir une dépendance pour stocker mais ce n’est pas le cas de tout le monde. Il faut aussi bien réfléchir au moyen de récupérer les produits qui peuvent être loin. J’ai commandé plusieurs produits chez Articonnex, qui sont basés à Nantes et ils se sont occupés de la livraison mais ce n’est pas le cas pour tout.


Je suis devenue une spécialiste du bon coin, mais sur ce site, il n’y a pas de service de livraison sécurisé pour les gros objets ou la plupart des annonces sont en “remise en main propre uniquement”. C’est donc très compliqué d’acheter un gros meuble à l’autre bout de la France. Pourtant, mettre ce meuble à la poubelle pour acheter un meuble neuf plutôt que de le réemployer, c’est plus polluant que de le livrer, il faut trouver de bons services de livraison.


EDP : Et si c’était à refaire ? Après ton expérience, quelles astuces pourrais-tu donner à quelqu’un qui voudrait se lancer ?


Naomi : La règle d’or, je le redis, c’est l’anticipation pour trouver les bons produits avec les bons volumes. Puis, être accompagné par un architecte pour monter le projet. Nous avons fait toute la conception avec l’architecte mais ensuite, nous avons suivi seuls le chantier, essentiellement pour une question de budget.


Il faut trouver un architecte vraiment captivé et motivé par le projet, qui y croit à fond. Mon architecte m’a par exemple beaucoup accompagnée dans la conception des salles de bain. Je lui envoyais des photos des pièces ou matériaux trouvés sur le bon coin, et elle préparait des visuels à partir de ça. Cela m’a beaucoup aidée pour cette étape !

Ensuite, ne pas avoir peur d’en parler aux artisans qui interviennent sur le chantier, si on fait faire certaines parties, et assumer ce qu’on veut faire et imposer les règles. Si on veut on peut !


La seule chose que je regrette, c’est le carrelage du rez-de-chaussée, que je n’ai pas réussi à trouver comme je le voulais. Je me suis donnée jusqu’à la dernière minute pour trouver, mais sans succès et j’ai donc dû acheter du carrelage neuf. C’est la seule chose que je regrette un peu.


EDP : La difficulté d’accès aux matériaux peut donc représenter un frein important.


Naomi : Oui, effectivement. Il faut réfléchir à toute une logistique qui n’existe pas vraiment actuellement.


Pour moi, le mot d’ordre, c’est l’anticipation. On ne peut pas se dire qu’on va acheter du carrelage ou de la faïence ou un miroir du jour au lendemain, comme on le ferait sur un site en ligne. Il faut au contraire bien avoir analysé son besoin, le type de matériaux recherchés, la quantité nécessaire, et se dire qu’on ne trouvera pas d’un claquement de doigt. Moi, j’adore ça, c’est comme organiser un gros événement par exemple ! Et j’étais aussi poussée par l’envie de faire des économies sur le coût final du chantier et sur l’empreinte environnementale.


L’autre difficulté est que ni les particuliers, ni les architectes qui les accompagnent ne savent où trouver ces matériaux ou que ce modèle de rénovation responsable existe. Cela m’a donné beaucoup d’idées pour l’avenir…


EDP : Tu as quelque chose à nous dévoiler ?


Naomi : En effet oui :) J’ai beaucoup réfléchi aux problématiques que j’ai rencontrées lors de ma rénovation et comment les résoudre. Celle qui m’a frappée le plus c’est le manque d’accompagnement dans la recherche des matériaux. J’adore chiner et j’adore mettre en relation les gens, j’ai donc décidé de créer un service de sourcing des matériaux issus de l’économie circulaire. En lien direct avec les architectes, je vais recevoir la liste des matériaux à chercher et le style souhaité par le client. Je vais mettre en marche le réseau des plateformes de réemploi pour les trouver, les présenter au client, les faire valider, préparer les devis et qu’ils arrivent sur le chantier pour être posés ! Comme j’ai fait pour ma maison :) A la fin du chantier je vais délivrer une attestation pour savoir les quantités de CO2 évitées grâce à l’utilisation de ces matériaux. J’ai appelé ce service Moor Réemploi et il sera actif à partir d’octobre.


@moor.reemploi

EDP : Merci Naomi pour ce témoignage très inspirant et motivant. Notre blog s’appelle l’écho des possibles, et avec cette interview, grâce à toi, on se fait écho d’une démarche qui peut paraître insurmontable mais se révèle possible en réalité. Le sous-titre du blog, c’est « l’écologie positive et engagée ». Qu’est-ce que cela t’évoque ?


Naomi : L’Echo des possibles, ça me donne de l’espoir pour l’avenir. Aujourd’hui, on vit dans un excès de tout, de matériaux, d’objets. Mais j’ai découvert qu’en creusant un peu, on trouve plein de solutions et de nouvelles façons de faire. Ça, ça donne de l’espoir pour l’avenir !


L’écologie, pour moi, c’est un engagement très fort, j’y mets beaucoup d’envie et d’énergie alors quand je trouve des gens qui pensent comme moi, ça me conforte et ça me donne encore plus envie d’y croire.


Pour en découvrir plus sur Naomi, ses trouvailles et son intérieur, rendez-vous sur sa page Instagram @maison_circulaire et sur @moor.reemploi


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